Retour aux sources
mercredi 15 novembre 2006, 21:25 J'aime pas les gens Lien permanent
C’était il y a un mois, pile. J’avais gloussé dans le train à l’aller, mais le retour était définitivement moins jubilatoire : il fallait que je ramène de Creil la voiture que ma cousine par alliance avait bien voulu me revendre pas cher, et à crédit (et avec un super auto-radio pour écouter les Floyd très fort, ouééééééé !)
Il se trouve que j’ai HORREUR de conduire. Enfin plus qu’horreur, d’ailleurs : c’est une véritable phobie. Quand je suis au volant (autant dire dans un cercueil à roulettes), la panique m’étreint. Ça me vient de très loin (très exactement du jour où deux copains se sont tués en voulant jouer au plus fort avec un platane), et je sais que ça durera jusqu’à ce que mort s’ensuive (si possible, pas pendant la désincarcération, merci).
Donc, 300 bornes en voiture pour M. LeChieur, qui préfère mariner six heures sur les nationales plutôt que rouler comme un dingue derrière les sportifs autoroutiers. C’est long.
Et, sur le trajet, ma ville d’enfance.
Que croyez-vous qu’il arriva ? Évidemment, je m’inventai un prétexte (vessie pleine, envie de café, pénurie de cigarettes) pour y faire une halte. Et, comme je suis un indécrottable nostalgique crétin, j’eus l’idée géniale pathétique de faire un petit tour du côté de chez Maricot.
Chez Maricot, on vendait du café, des cigarettes et des journaux. Soit à peu près 70% de mes besoins quotidiens (s’il avait fait café-librairie, j’y installais mon duvet). Il y avait des flippers, un baby-foot et un jukebox sur lequel des filles avec des foulards mauves faisaient tourner Johnny Clegg en boucle. Pendant les heures de perm’, on s’installait sur les tables du fond. On s’affalait, on discutait, on s’engueulait, on se marrait, on refaisait le monde. Ces tables-là ont vu des idylles se nouer, des grèves se faire et se défaire, des rêves s’envoler. Je me souviens notamment de toutes ces fois où on a évoqué nos avenirs respectifs, avec ce mélange excitant de trouille et d’envie d’en découdre. Et toi, tu feras quoi, après le bac ?
— Moi, je vais me faire faucher par un chauffard à la sortie d’une boîte, et je mourrai sur le coup.
— Moi, je vais me faire diagnostiquer trop tard un cancer du sein à 34 ans, et je n’en sortirai pas vivante.
— Moi, je vais reprendre la ferme de mes parents, et je consolerai mes aigreurs en votant populiste.
— Moi, l’amoureuse au foulard mauve, je vais disparaître de la circulation et vous ne saurez jamais ce que je suis devenue.
— Moi, le copain guitariste, vous lirez sur copaindavant que je suis devenu conchylliculteur en Gironde.
— Moi, je vais péter les plombs juste avant l’épreuve de philo, et je me détruirai à petit feu jusqu’à mourir clodo.
— Et moi, je finirai blogueur sous un pseudo ridicule, et je courrai après des piges minables pour essayer de survivre.
Non, en fait on ne se disait pas ça. On voulait être journaliste à Libé, star du rock, comédienne, écrivain, prof, milliardaire… Le monde était à nous, on allait voir ce qu’on allait voir.
Pour apaiser nos avidités lycéennes, Jean-Pierre, le patron, nous apportait ses sandwiches préférés : une baguette croustillante, du beurre, une coulée de ketchup, des tomates, une feuille de salade, du fromage, du jambon (depuis, mon entourage crie au sacrilège quand il me voit ajouter LA coulée de ketchup sans laquelle un Paris-Beurre ne vaut rien. Mon entourage est précieux, mais ignare en matière de sandwiches…) On reprenait une tournée de café, et les heures s’étiraient.
D’abord, j’ai revu le lycée. À peine si je l’ai reconnu. J’ai tourné à gauche, juste après l’épicerie, et j’ai retrouvé la rue de chez Maricot. Une rue aveugle, grise, qui sent l’huile de vidange et la poussière. Une rue sans âme. Sur le poteau téléphonique où j’avais plaqué la fille au foulard mauve pour l’embrasser à pleine bouche, par un février crépusculaire, il n’y a que des dépôts de crasse noirâtre. Pas même une plaque en bronze, “Ici, LeChieur et FoulardMauve ont mis en route une histoire compliquée”. C’est vous dire s’ils sont cons, dans cette ville.
Puis j’ai vu le café. Immédiatement, j’ai SENTI qu’il ne fallait pas que j’aille plus loin, mais c’est plus fort que moi : quand j’aperçois une flamme, il faut que j’y mette la main, juste pour vérifier que aïe, ça brûle. Alors j’ai poussé la porte. Et aïe. C’est devenu un de ces bistrots d’alcooliques, où des gens sans espoir viennent laisser filer leur RMI au comptoir. Murs sales, tables en formica, pièce plongée dans une pénombre hostile. Avec deux types et une femme à cheveux gras qui enchaînaient les tournées de pastis. Un moyen comme un autre de repousser le moment où il leur faudrait retrouver leurs solitudes pavillonnaires. J’ai demandé un paquet de Camel au nez de fraise qui postillonnait derrière la caisse.
— Vous fermez ?
— Non, pourquoi ?
— On dirait : toutes les lampes sont éteintes.
— Non non, on ne ferme que dans deux heures. Vous prendrez quoi ?
Un café, forcément. J’ai avalé la lavasse en retenant ma respiration, et puis je suis allé faire un tour dans les salles. Plus de flipper, évidemment, ni de jukebox. Rien que des tables où personne ne s’asseoit, et une misère qui suinte. Plus de monde à refaire, plus de vies à mordre à pleines dents, plus d’interros d’anglais ni d’affrontements épiques entre anars et trotskystes. Que des existences qui s’épuisent dans l’oubli, et une bonne claque dans ma gueule d’ancien lycéen. Comme les autres me regardaient arpenter l’abysse, je me suis cru obligé de m’expliquer : “Excusez-moi, ça fait… pfiouuu… 20 ans que je n’étais pas venu. J’essaie de me rappeler comment c’était”. Alors ils ont hoché la tête, et ils ont replongé dans leur Ricard. Moi, je suis allé pisser.
Et c’est là que tout m’a sauté à la tête. Les flippers, le jukebox, l’énervante fredaine de Johnny Clegg, le foulard mauve, “Devaquet au piquet”, les copains qu’on console, les refrains des Clash, le mercredi où Boris s’est coupé les veines dans les douches de l’internat, les frimas de décembre et les t-shirts de juin, les “et toi, tu feras quoi après le bac ?” et les “on monte une pièce de théâtre, t’en es ?”.
Insupportable fossile au milieu d’un désert d’abandon, les chiottes n’avaient pas changé.
Commentaires
waou, c'est joliment raconté ton pélerinage sur les lieux où tu as sévi. Ca m'a renvoyer des trucs durs, les suicides des copains, pas cool. sinon, je crois qu'on ne dit pas "un nez à la fraise", mais tout simplement "il (elle) a une fraise". Mais un nez à la fraise , ça fait (et c'est peut-être voulu) comme un parfum de glace à choisir. et pour vous ce sera quoi? bah un nez à la vanille ? non y'en a plus, à la banane ? non plus, bah alors à la fraise ! :o)
Hé, Marcel ! J'ai écrit "nez de fraise", pas "à la fraise"... :-P
Super joli...merde, j'avais pas vu l'heure!
C'est le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure...On se dit qu'à vingt ans , on est les rois du monde........OK, on connait la chanson.Il existe 2 versions de cette oeuvre .Une (l'originale)chantée par Françoise Hardy et l'autre par Dutronc.Celle de Dutronc est parfaite.A part un arrangement disco merdique,on entend deux voix.Une qui chante doucement (comme Dutronc sait le faire) un texte miévre dans lequel on se laisse facilement emmener ( la magie de la "variété"populaire...) et dérriére,sous mixé, on l'entend hurler le texte en doublure sans phraser et.... faux...bien sur!.Pour moi, c'est souvent ça quand je retourne sur les lieux du crime...Tu devrais écrire des chansons Le Chieur...
Beau texte. Moi pareil sauf que c'était "Deux Vaquets, bonjour les dégats"... comme quoi... En tout cas merci: ma journée est foutue, mais c'est pas grave!
Ouch ! Bonjour les coups dans la gueule ! Merci pour tout !
M. LeChieur, vous faites chier.
Me voilà reparti en pensées dans mon lycée : écharpes colorées, mitaines dépareillées, vieux redoublant en cuir, le café enfumé aux banquettes rouges, les innombrables premiers amours, le soleil dans le parc voisin...
Et Yann.
Yann, toujours absent depuis toutes ces années, depuis ce lundi où un proviseur raide nous annonça son suicide...
Fait chier, LeChieur. On a vraiment tous un copain qui a choisi de mourir avant 18 ans ?
Ah les souvenirs... Ah le passé... Il fait partie du présent, il l'a forgé, il vit dans un coin là tout au fond, sous le souvenir de cette nuit et à côté de celui du jour là, celui où... Mais il est passé, et comme un instant, à peine est-il vécu qu'il n'existe plus.
Un texte diantrement nostalgique et qui, comme dit plus haut, me fait également replonger dans mon propre passé, mes souvenirs enfouis. Des scènes éparses, des moments d'éternité, des instants croquants et d'autres attristants, comme le fameux ami qui choisit de finir sa vie, et le baiser qui change tout.
Pfiou.
M. LeSieur, il pourrait nous raconter le bulletin de la météo marine, ce serait bien écrit. Alors c'est dire quand il s'attaque à un sujet bien senti comme celui-là. Tu vois, tout est dans le p'tit détail, comme le foulard mauve (véritable accessoire de l'époque).
Bon sinon, dans le Calvados, un bar est un bar.
Ouais, M. LeSieur n'a pas précisé le Calvados, mais j'ai mangé un Hercule Poirot ce matin.
Merci M. LeSieur !
Moi, j'habite la ville de mon enfance. Partie, revenue. Des suicides j'en ai connu aussi, et depuis encore. Et parmi mes élèves... Je ne sais pas si on peut l'empêcher. Des souvenirs qui rejaillissent en pleine poire, je m'en prends tous les jours. Parfois, c'est douloureux, parfois c'est un jus de mangue que je déguste. Merci pour ce texte sensible où chacun retrouve sa propre adolescence. Chez moi aussi, les cafés sont devenus bouibouis, et le bruit des flippers a été remplacé par de la techno.
C'est rigolo, ca, d'avoir peur en voiture et de choisir la partie la plus accidentogène du réseau routier (les nationales) pour se déplacer ...
Bou... dire que je traîne par ici sur les conseils d'une enjouée qui me disait que j'allais rire en te lisant... De fait, la qualité de l'écriture y est, mais en ce qui concerne la rigolade, je repasserai !
Eric > La phobie n'a rien à voir avec la peur, ni avec l'évaluation rationnelle du risque. Lâche-moi sur une autouroute, et je te jure qu'il suffit d'à peine une heure pour que je devienne plus accidentogène qu'un myope bourré qui roule la nuit sans phares et sans lunettes...
Je devais avoir quelques années de plus... Là où je vivais les poteaux électriques ne se remarquaient pas. Là-bas, c'était plutôt les cocotiers et les grands paquebots qui déversaient leur flot hebdomadaire de touristes américains ou australiens. Tahiti...
Non loin de ce quai des paquebots trônait le "Zizou Bar" (prononcer Zizou Baaaarrr). Un lieu excessif où le "Tout Papeete" se donnait rendez-vous le soir. Il faut dire qu'il y avait de l'ambiance... Les "Rérés", travestis locaux exubérants y tenaient le haut du pavé... Ils avaient même leur représentant, "Mercedes, Reine de la Nuit". En fait, un ancien docker "devenu femme" mais respectée et systématiquement invitée à toutes les réceptions et soirées.Toujours est-il que ce lieu interlope fonctionnait aussi le jour...
Une fin d'après-midi où je me sentais un peu cafardeux, je me retrouve accoudé au bar à boire un café. Mercedes, la Reine de Toutes s'installe à mes côtés et vient me saluer.
M: Ia Orana, tu es déjà là?... Comment vas-tu?...
K: Salut Mercedes, je prends juste un café mais je repasserai p'tête ce soir avec les autres. Tu bois quelque chose?
'Ia... À cette heure-çi, je veux bien un Gin To'
Une cigarette? (à l'époque je fumais)
Non merci... Tu sais bien que je ne fume pas... J'ai tous les vices de la terre sauf celui-là... Par contre, je peux te fumer autre chose si tu veux?...
Non merci Mercedes!
T'es gentille mais je vais rester sur la cigarette et le café si tu veux bien...
Quand il fait gris et que j'ai le bourdon comme aujourd'hui, je repense à cette anecdote heureuse de ma jeunesse. Ça me booste! Parce qu'on a beau dire, mais la déprime c'est toujours plus facile à vivre au soleil...
Pas comme les billets de M. LeChieur qui a le don de nous plomber la journée...
Tu n'as jamais appris qu'il ne fallait jamais se retourner sous peine d'être changé en statue de sel ? Tu as eu de la chance de t'en sortir vivant…
Est-ce que tu accepterais que je diptyque un peu à partir de cette note ?
Akynou > prends ce que tu veux.
bonjour monsieur le chieur. Je crois que nous avons été colisitiers chez un certain FM. liste sur laquelle je n'ose me réiscire de peur de me noyer sous les innombrables messages...Bref j'avais reperé ton blog, et je le consulte régulièrement et c'est toujours aussi bien. J'aime bien te lire c'est ma petite bouffée de je ne sais quoi mais en tous cas tu me fais souvent rire et aussi souvent réfléchir. Amitiés.
Ce que tu écris est si vrai que j'ai cru un instant qu'il s'agissait de mes propres souvenirs.
"Devaquet tu fais chier", quelquepart dans les rues de Tours, j'ai cru un instant que je pouvais changer le monde.
ouuups ! j'ai lu trop vite, désolé, mais ça m'a fait rire. donc c'est gagnant gagnant.
Bonjour, pourquoi as tu enlevés ton billet sur "le score" ???
Audacieuse, j'avais pris la liberté de mettre un lien vers ton blog sur celui-ci http://dinersroom.free.fr/index.php?2006/11/16/264-salve-regina-mater-misericordia
Je pensais faire bien. Et peut- être t'attirer si ce n'est plus d'audience, je ne pense pas que tu en ai besoin. Un peu de beurre dans les épinards. Dommage.
Petit sondage : QUI AVAIT LU LE BILLET DE CE MATIN (vendredi 17 novembre) AVANT QU'IL SOIT SUPPRIMé ?
Moi oui. Arf.
Th!erry Tuborg
Moi aussi ! Quand on vous dit que les agrégateurs cédlaballe !
Mon commentaire est encore chaud sur mon "Desk". Malheureusement le billet lui, a disparu...
Il aura vécu dans l'éphémère et l'illusion avant de s'envoler vers le royaume de la repentance...Paix à son âme.
Ah oui, excusez-moi, je suis un chieur (toujours) et j'ai des repentirs (souvent). Et, réflexion faite, je n'ai pas envie d'entrer dans la danse des blogs qui n'ont rien à dire sur les Présidentielles, mais qui le disent quand même. Désolé, Perky.
flûte! moi qui ai coupé mon pc pour économiser la planète!
En plus chus sûre qu'y avait pas de jeu de mot avec "royal"...
À juste titre!
Moi, bête et discipliné (j'ai encore quelques stigmates) je clique sur le lien proposé par Perky. Et là, je tombe sur une bande d'étudiants attardés qui commentent l'élection de Ségo comme si c'était l'entrée du premier char russe à Budapest en 56...
Du calme les boutonneuneux, c'est qu'une élection de représentant de classe. Y'a pas de quoi en faire un billet...
"Représentant de classe"... Hé bé ! Je te trouve déjà bien optimiste, Kopin
Délégué de classe, ça s'appelle : DELEGUE pas représentant !
un représentant c'est un qui sonne aux portes pour vendre des trucs (ou témoin de jéovah aussi, mais ils vendent pas les mêmes trucs...)
Pour ce qui concerne le "Royal" moi je trouve qu'il y a trop de trucs qui ressemblent à rien dedans, en général je préfère le couscous méchoui ou le couscous brochettes, mais si un jour j'ai pas le choix, j'essaierai : pitétre je vais adorer !
=> Kopin : Bête et discipliné : mouais ... ça se saurait !
On dit VRP depuis vingt ans... Moi aussi je sais faire
Bonjour, je suis le représentant Famille 2OOO de votre quartier, je viens vous apporter quelques informations concernant votre famille.
En ce temps-là je voyageais dans les cités hachélème des boulevards des maréchaux du nord de Paris.
J'étais représentant au porte-à-porte en encyclopédies pouraves et c'est la phrase que je balançais dès qu'une porte s'ouvrait.
Et je n'arrivais pas à me résoudre à placer une de ces foutues encyclopédies.
Et ben oui, il a entièrement raison Kopin : VRP, c'est ce qu'il faut dire. Représentant c'est nul, c'est vieux jeu, ça se dit plus. Délégué de classe, c'est nul aussi. D'ailleurs, tous les jours je le dis à mes copines : Représentant de classe c'est mille fois mieux.
Et toi le chieur, ça va ? t'es content qu'on vienne discuter de nos petits soucis chez toi ?? tu nous servirais pas l'apéro, tiens ? c'est l' heure, il me semble !
J'en profite pour signaler à la terre entière que le lien social qui m'unit à Kopin est tellement fort que JAMAIS on se fâchera pour des bêtes mots !
Lisez crétin
Que dire de plus en 33ème position ? J'ai lu, ça me fait toujours le même effet, même 2 ans après avoir découvert pire chieur que moi.
J'ai 18 ans et j'ai les boules là...
Beau texte