The Rose
dimanche 19 novembre 2006, 00:52 J'aime pas les gens Lien permanent
Il a demandé des timbres pour ses lettres. Il est allé en ville. Il a mis des sous dans le parcmètre. Il a laissé une enveloppe sur le tableau de bord. Il a marché jusqu’au château. Il est monté sur les remparts, vers la plus haute tour. Et puis il a sauté.
Le 9 septembre dernier, un homme qui a changé pas mal de choses dans le cours de mon existence professionnelle (et, du coup, personnelle), s’est “donné la mort”, comme on dit. Dans les lettres qu’il avait préparées pour sa famille, il a demandé que ses amis soient réunis, qu’on écoute The Rose en souvenir de lui, puis que ces cendres soient ramenées dans le cimetière où repose son père.
Il n’était pas croyant mais il faut bien un moment, un rituel, un endroit pour dire “au revoir”, pour laisser filer les émotions… Dommage, rien n’est prévu pour les athées ou les agnostiques ; et il n’y a rien de plus sec, rien de plus triste, finalement, qu’un enterrement civil ou une crémation sans cérémonie.
Alors la famille a payé (ben oui, ça s’achète, ces trucs-là) pour une bénédiction catholique, puisqu’il était baptisé. Comme il avait beaucoup d’amis, il a fallu réserver la plus grande église de la ville, celle qui est tenue par le curé le plus réactionnaire des environs. Bien sûr, celui-là n’officierait pas : on avait confié la tâche à un ami de la famille, un ancien prêtre ouvrier. Mais le curé en titre restait le seul maître en son domaine, et il entendait bien le montrer : “c’est mon église. Vous n’y ferez pas entrer de musique profane”.
Ce jour-là, on n’a pas écouté The Rose. Oh, bien sûr, on a pleuré quand même. Les enfants, les collègues, les amis du défunt ont dit de belles choses sur ce qu’ils gardaient de lui. Et, quand le cercueil a été hissé dans le véhicule des pompes funèbres, on a tous applaudi sur le parvis. Une manière à nous de dire “merci et bravo” avant que le rideau ne se referme. Ce gars-là avait passé sa vie à défendre le théâtre, la danse, la musique, et tout ce qui se joue, se chante ou se déclame sous la lumière des projecteurs. Il avait allumé tant de feux sous nos yeux, et pendant si longtemps, qu’on lui devait bien ça, un dernier salut avant le “noir salle”.
Mais on n’a pas écouté The Rose.
Je ne sais pas pourquoi j’ai repensé à l’homme qui aimait Bette Midler en lisant ce beau billet de Kozlika, ce soir. Chacun s’arrange comme il peut, avec la mort. Certains veulent la préparer, d’autres pas. Moi, je sais ce que je veux : une crémation rapide, et qu’on passe “Sympathy for the devil”, le plus fort possible. Je l’ai fait promettre à Mme LeChieur, il y a 6 ou 7 ans déjà. D’abord parce qu’avec un titre pareil, je suis sûr qu’aucun abbé ne viendra profiter de la situation pour se pencher au-dessus de ma dépouille en psalmodiant ses fausses nouvelles, comme chantait Brel. Ensuite parce que j’aime vraiment beaucoup les Stones. Et enfin, parce que ça m’amuse d’imaginer l’assemblée qui commence à se dandiner en rythme, malgré elle. Et qui retourne du côté de la vie.
Il y a quelques semaines, le Sénat a adopté une proposition de loi de Jean-Pierre Sueur, visant à encadrer les crémations. Lorsque ce texte aura été approuvé par l’Assemblée Nationale, on ne pourra plus faire ce qu’on veut avec ses propres cendres. Les seules alternatives seront l’entreposage dans un colombarium et la dispersion, cette dernière n’étant autorisée que dans un “jardin du souvenir”, ou dans la nature, mais avec déclaration préalable auprès de l’administration.
Au moment du vote, j’ai entendu plusieurs déclarations du Sénateur Sueur à la radio, qui se félicitait de la portée “républicaine” de son texte. C’est assez mesquin, je trouve, de s’en prendre ainsi à la République : cette bonne fille s’était séparée de l’église en 1905, voilà qu’on veut lui faire reprendre le droit chemin tracé par les goupillons. Car le soucieux démocrate nous dit qu’il faut impérativement un “lieu de souvenir” pour les vivants, si l’on ne veut pas offenser Marianne. Mais, c’est bizarre, quand il articule “souvenir”, moi j’entends “prière”… Je dois avoir une déformation de l’ouïe. Il faut peut-être que je consulte un oto-rhino…
C’est une chouette République, qui laisse des gens croupir au-dessous du seuil de pauvreté, qui abandonne la solidarité, la prévention et l’entraide aux seules associations caritatives, bref qui s’indiffère tant que vous êtes vivant, mais s’empresse de venir vous dicter vos devoirs quand vous êtes mort, en foulant du pied vos dernières volontés. Exactement comme le curé qui n’aime pas Bette Midler.
On ne nous laissera donc jamais la paix.
Commentaires
Bonsoir LeChieur, Il y a maintenant un bon moment que je lis vos billets, qui ont retenu dès les premières lectures toute mon attention. Ce dernier billet en particulier ; je passerai outre la pommade habituelle, et prendrai plutôt du temps à réécouter The Rose, film trop peu connu de ma génération. J'en profite toutefois pour mentionner le site Ecopod, qui propose justement des cercueils en papier recyclé, pour amoureux de la nature. Ce n'est absolument pas de la réclame, simplement de l'information. Merci encore pour ces billets.
On ne retient pas l'écume Dans le creux de sa main On sait la vie se consume Et il n'en reste rien D'une bougie qui s'allume Tu peux encore décider du chemin, de ton chemin
Ayant vu également autour de moi partir de cette même façon des être proches et même très proches, je ne cesse de les inviter à se joindre par la pensée à mon quotidien, je perds parfois le souvenir de leur odeur, du timbre exact de la voix. Parfois ils viennent dans mes rêves et je les retrouve entiers. En attendant un jour de les retrouver ailleurs, même dans le néant, je vous embrasse, M. Le Chieur.
C'est dommage, on aura plus droit à la fameuse scéne de "The Big Lebowisky".Sinon je pense que "Vieille canaille" te va mieux. Version swing par Eddy et Gainsbourg.
Zak > Si tu me survis, je t'autorise à la chanter pendant mes funérailles, vieux chameau.
J'ai organisé pour mon père un enterrement civil, avec un amis musicien qui a joué le Requiem de Fauré au cimetière, c'était le dernier disque écouté par mon père, trouvé dans son lecteur CD. J'aurais pu ajouter des lectures, mais je ne me suis pas sentie la force de lire, et le recueillement était là, avec les rituels essentiels, mais sans l'église, qui est loin d'être nécessaire dans ces moments-là. Je trouve détestable l'idée que l'on ne respecte pas les volontés du mort quand elles ont été exprimées. Dans le magasin des Pompes Funèbres, rien ne m'a été imposé. On m'a proposé un recueil de textes "laïcs", mais niais. Et les cercueils exposés étaient tous ornés d'un christ ou d'une croix, ce qui a suffi à m'énerver, même si on déduisait le "prix du christ" du coût total... C'est le côté mercantile de tout cela qui fait le plus mal. Pour le reste si la famille ne respecte pas les voeux du défunt, c'est qu'elle le décide.
PS : je voulais dire : un ami violoncelliste a joué un extrait du requiem de Fauré.
Ed > "Pour le reste si la famille ne respecte pas les voeux du défunt, c'est qu'elle le décide". Je maintiens : pas chez certains curés, et bientôt plus chez les laïcs.
Monsieur Le Chieur, je vous aime...(oui, bon, toutes choses relatives par ailleurs, hein on se comprend)
Pour la loi, je suis d'accord. C'est à dire je suis contre ! Mais dans l'exemple de votre note, il me semblait que la famille avait elle-même décidé de s'adresser à l'église. Dans ce cas il me semble normal d'en accepter les rites. Pour ma part si quelqu'un de mon entourage refuse la présence d'un prêtre, je respecterai toujours cette volonté.
j'aimerai bien savoir comment ils envisagent de réglementer la dispersion des cendres... en ne l'autorisant que les jours sans vent? "or j'avais hérité de grand-père une paire de bottes pointues si'il y a des coup de pieds qui s'perdent çui là toucha à son but. C'est depuis ce temps là que le bon apôtre ah-c'est pas joli ah- c'est pas poli A une fesse qui merde à l'autre" (brassens)
Ed > "Pour ma part si quelqu'un de mon entourage refuse la présence d'un prêtre, je respecterai toujours cette volonté". J'aime bien, quand on me donne des leçons à l'emporte-pièce. Je vais répéter plus lentement : la famille a scrupuleusement respecté les dernières volontés du défunt, lequel n'avait pas spécialement demandé qu'on mît le feu à l'église ce jour-là, c'est le curé qui les a violemment refusées.
"Dans ce cas il me semble normal d'en accepter les rites". J'ignorais que refuser une chanson aux paroles aussi niaises à l'enterrement d'un homme fît partie des rites de la sainte église romaine et apostolique. Pour ceux qui ne comprennent pas l'anglais, il faut savoir que ce n'est ni une chanson paillarde, ni un texte satanique, mais une bluette à deux balles qui dit que "l'amour est une fleur, et que tu en es l'unique graine". Si ça, c'est incompatible avec le message du gars sur la croix, alors c'est que je n'ai définitivement rien compris, et que je me suis tapé cinq ans de catéchisme pour rien quand j'étais petit.
Comme quoi, dans la vie on fait pas toujours ce qu'on veut...
C'est bien connu : la mort, c'est l'affaire des vivants...
A l'attention de Mr le C" ". Je suis navré pour cet ami. Comme il est délicat aprés d'écrire sur 1 sujet sur la sante de tous:de quelques un en fait.. des clops,du vin ou de la biére et le reste,assis: bien manger,mais la il y a du pour et du contre.J'ai... comme 1 béte peut etre curieuse vue 1 embonpoint sur certaine image de ce site que je recommande a tous.dans 1 film le heros apres 1 triste histoire se précipite pour se faire 1 check-up:son taux de cholestérol son coeur ses radios .. A RECOMMANDER en toute occasions 1 fois par an.A propos des chansons du film The Rose,aux Stones on peut aussi apprecier Joplin.Quoique dans 1 temple cela la ferait rire.Qu'est ce qui se passe ici? st sse la maison du seiiiignnneur.ou bien?
Peut être est-ce plus Bette Midler que la chanson elle-même que le curé ne voulait pas entendre...
Je me prénomme Ghislaine, mais j'ai été baptisée Sabine (prénom de ma maraine) : le vieux bénisseur du bled où j'ai fait trempette dans les fonts baptismaux n'ayant pas trouvé de Ste à mon prénom dans ses calendriers. "C'est peut-ête un prénom bamboula ?" at-il ajouté. Maman est Guadeloupéenne...
Je souhaite que ton ami ait trouvé la paix.
La bête > Je n'ai absolument rien compris à ton commentaire. Mais alors, rien de rien... Désolé...
Gigi > Ainsi le gars qui t'a mouillé le front était con, raciste et inculte ? Bin dis-donc, t'es une vernie, toi... "Dans l’attente d’une Sainte Ghislaine, officiellement reconnue comme Sainte, toutes celles qui portent ce nom peuvent compter sur l’assistance de Saint Ghislain qui fut moine à Mons en Belgique, vers 680." (trouvé là).
D'une grande tristesse ton texte. La question de disposer de sa propre "fin sur terre" confrontée à la connerie de la religion (je respecte la foi par ailleurs) Des frissons me reviennent, me revoyant demander à mes parents ce qu'ils avaient envisager comme fin. "Rien" dit mon père (78a). "Qu'on jette mes cendres n'importe où" déclara ma mère(76a). Et moi les yeux ronds, le coeur à 100 à l'heure, refoulant les larmes. Comme quoi la gestion de sa propre mort est largement plus aisée que celles de ses proches. si jamais je devait avouer à mes parents, que je lègue mon corps aux hôpitaux et les restes aux chiens...
D'une grande tristesse ton texte. La question de disposer de sa propre "fin sur terre" confrontée à la connerie de la religion (je respecte la foi par ailleurs) Des frissons me reviennent, me revoyant demander à mes parents ce qu'ils avaient envisager comme fin. "Rien" dit mon père (78a). "Qu'on jette mes cendres n'importe où" déclara ma mère(76a). Et moi les yeux ronds, le coeur à 100 à l'heure, refoulant les larmes. Comme quoi la gestion de sa propre mort est largement plus aisée que celles de ses proches. si jamais je devais avouer à mes parents, que je lègue mon corps aux hôpitaux et les restes aux chiens...
LeChieur > Merci pour cette recherche. En cette période de pré-élections, j'ai envie de déposer ma candidature au Vatican.
Mais n'étant pas en odeur de sainteté dans ma paroisse...
J'ai écouté et réécouté avec plaisir The Rose !
Mon comm' était peut-être court et sec, c'est souvent le propre des commentaires écrits rapidement sous le coup de la réaction, mais ne voulait pas donner de leçon. Il y avait un passage de la note que j'avais apparemment mal compris. Quant à l'église, il y a longtemps que je n'attends plus aucune ouverture de sa part.
Peu m'importe ce qui se passera à mes obsèques. Je ne serais plus là pour le vivre
Chuis total d'accord avec Kopin : Je m'en branle. Mais sévère de grave alors. J'aurais bien une préférence pour la dispersion qui prend moins de place et évite les corvées de la Toussaint, mais j'ai connu des gens qui avaient très mal vécu l'absence d'endroit où se recueillir après la mort d'un proche.
Par contre, le premier qui refuse de donner mes morceaux pour que d'autres se prolongent un peu, je lui promets que rien que pour lui, je confirme l'existence d'une vie après la mort et qu'
Bonjour, Je crois avoir entendu parler de cela (il n'y a pas beaucoup de gens qui se sont suicidés à cette période en se jetant du haut d'un château). Ce qui m'a interrogé, c'est le caractère spectaculaire de ce geste. Comme si son auteur avait voulu lui donner un sens particulier? Interpeller la foule? Va savoir? Les gens à qui j'en ai parlé m'ont répondu de façon expéditive, comme s'ils n'avaient pas du tout envie de réfléchir là-dessus: "Bô, de toutes façons il était dépressif, etc..." Moi, j'aurais bien aimé comprendre, mais je n'ai pas trouvé. Peut-être que j'ai tort de vouloir toujours comprendre?
Peut-être que les gens n'ont pas envie d'y réfléchir par peur de trouver des raisons d'en faire autant? En tout cas, je ne crois pas que ce soit mon cas: j'ai bien trop d'imagination (pendant la chute, la dernière seconde de conscience dans le cerveau encore entier, la possibilité d'un ultime regret, et ce serait trop tard?.. Brrr...)
Erik le Viking > Si tu veux en parler, tu peux m'envoyer un mail à mlechieur@gmail.com.